L’Afrique du Sud, surnommée la « Nation arc-en-ciel » par l’archevêque Desmond Tutu, connait une nouvelle vague de violences sociales et raciales. Le pays a connu un évènement tout particulier avec l’Apartheid de 1948 à 1991, et malgré les politiques mises en place, les problématiques raciales restent d’actualité. Elles se sont également déplacées vers les populations étrangères venant d’autres pays africains s’étant installées sur le territoire. Le pays est régulièrement secoué par des mouvements sociaux anti-immigration et xénophobes. Ce fut le cas en 2008, en 2015, 2016, 2019 et de nouveau depuis le début de l’année 2022. Ces mouvements et manifestations ont à chaque fois fait de nombreux blessés voire plusieurs morts, avec 62 personnes tuées dans les émeutes de 2008.
Une situation économique inquiétante : clivante et inégalitaire
Le pays connait une situation économique des plus précaires et surtout inégalitaire avec un chômage grandissant dans les classes populaires et aggravé par la récente crise du Covid-19. En 2020, l’économie s’était contractée de 6,4%, avec pour conséquence l’augmentation des personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le pays était déjà en difficulté économiquement puisque sa croissance était de 0,1% en 2019, avec notamment des problèmes d’énergie. L’Agence gouvernementale des statistiques a annoncé un nouveau record de chômage à 35,3% pour le dernier trimestre 2021. Les jeunes sont les plus touchés avec 65%. Cette problématique est une des causes directes de la vague des manifestations qui secoue depuis quatre mois le pays.
Il n’y a pas que le chômage, la crise économique et sociale est globale. L’Afrique du Sud est considérée comme le pays le plus inégalitaire du monde par la Banque mondiale, avec un indice de Gini de 0,63. (Plus ce dernier se rapproche de 1, plus le pays est considéré comme inégalitaire.) En comparaison, celui de la France pour la même année est de 0,289. Cet indicateur reste des plus haut en Afrique du Sud, notamment à cause de son histoire et des politiques sociales et économiques d’exclusion qui ont été mises en place. Un autre symbole de cette crise est l’inégal accès à l’eau. Depuis 2018, le pays connait une importante sècheresse qui laisse le pays en stress hydrique. Souvent, les barrages sont vides et le gouvernement doit imposer des règles de restrictions de consommations. Ce problème a bien sûr des conséquences sur la santé de la population ainsi que sur leur situation économique, tout particulièrement pour les agriculteurs et les éleveurs. Cette problématique est aggravée par le changement climatique. En 2022, la situation hydrique du pays ne s’est pas améliorée pourtant, quand certains doivent marcher plusieurs heures pour récupérer de l’eau pour pouvoir boire, cuisiner ou utiliser leurs toilettes, d’autres affichent des piscines pleines et des arrosages automatiques pour que leurs jardins restent verts.
Une montée des violences et de la xénophobie : les mouvements de refoulement
Cette fatigue de la population s’est notamment exprimée à travers la montée de la violence et des manifestations. Le mouvement Opération Dudula, qui signifie « refouler » s’est fait connaitre en janvier 2022. Ce dernier dénonce la politique migratoire du pays et considère que de nombreux emplois sont volés par les immigrés africains présents sur le territoire. Il a mené plusieurs manifestations et encouragé les opérations de contrôle d’identité des populations dans les townships, ainsi que ceux exigeant des employeurs de licencier leurs employés étrangers. Ce mouvement n’est pas officiellement lié à un parti politique, et il rassemble des membres d'une organisation nommée "L'Afrique du Sud d'abord" tout comme des vétérans de la branche armée de l'ANC appelée Umkhonto we Sizwe, qui signifie "le fer de lance de la Nation". Le leader du mouvement Dudula s’appelle Nhlanhla Lux Dlamini. Il se présente toujours avec un treillis et un gilet pare-balles, lui donnant une image d’autorité et imposante. Il parade aussi régulièrement en voiture de sport. Bien que les manifestations soient tendues depuis le début du mouvement, elles étaient restées sans tragédie, jusqu’au 7 avril. Un Zimbabwéen a été tué en marge d’un mouvement, quand des manifestants ont décidé de faire du porte-à-porte pour vérifier la nationalité des habitants d’un township.
La violence est un problème endémique dans le pays. Déjà en 2021, dans le contexte du procès de l’ancien président Jacob Zuma, des émeutes majeures ont embrasé plusieurs jours les provinces de KwaZulu-Natal et Gauteng. Des pillages dans les grands « malls » sud-africain ont conduit à des destructions et des confrontations entre les forces de sécurité et les groupes de pillards arrivés des townships. L’Afrique du Sud fait généralement partie des pays avec les plus forts taux de criminalité. Ce dernier ne fait que s’aggraver, avec 74 plaintes pour meurtres et 122 pour viols par jour au dernier trimestre 2021 selon le gouvernement. Les autorités apparaissent inefficaces pour juguler la violence. Quelques heures avant la mort du Zimbabwéen, le ministre de la Police Bheki Cele et son chef de la police avaient visité ce même village. Les meurtres ont augmenté de près de 9% entre 2020 et 2021, faisant compte de 37 meurtres pour 100 000 habitants, alors que ce rapport est en moyenne de sept dans le monde. Pour le ministre, la majorité des meurtres sont dus aux disputes, aux justices personnelles, aux cambriolages et aux vengeances. Plus d’un tiers d’entre eux se passent dans un lieu public, puis ce sont les domiciles et les débits de boissons qui sont le plus touchés. Le pays doit faire face à de nombreuses violences, en particulier celles de gangs, comme le Numbers Gang, qui divisé en deux branches, le 26s et le 28s. Les violences se retrouvent sur l’ensemble du territoire mais en particulier les grandes villes comme Cape Town ou Johannesburg et Pretoria.
Des réactions inégales face aux mouvements xénophobes/incidents et réactions populaires express
Les réactions face aux problèmes économiques et à la montée généralisée de la violence sur le territoire n’est pas uniforme. Le 26 mars, une manifestation a eu lieu, mais cette fois-ci en soutien aux immigrés présents sur le territoire. Alors que la criminalité la plus visible se concentre dans les grandes mégapoles et dans les villes côtières où s’affiche une richesse indécente, attirant les plus démunis coincés dans des townships, certains citoyens rejoignent le mouvement Dudula. D’autres le considère cependant nuisible, des commerçants redoutant les conséquences de ces manifestations et opérations, notamment la disparition de la clientèle par peur des violences. Le gouvernement a également décidé de prendre des mesures contre ces mouvements sociaux, comme avec l’interpellation du chef du Mouvement Dudula le 25 mars. Il était poursuivi pour effraction, vol et dommages. Ce dernier a été relâché quelques jours plus tard sous caution. Le Président Ramaphosa s’est également exprimé plusieurs fois pour condamner les exactions contre les immigrés et il a appelé à lutter contre la xénophobie.
L’Afrique du Sud compte 3,95 millions d’étrangers sur une population globale de 60 millions d’habitants. Ils représentent donc 6,58% de la population. Leur simple expulsion ne pourrait régler les problèmes économiques ou sécuritaires du pays, dont les origines et les causes sont bien plus profondes. Cependant, les problématiques socio-économiques peuvent souvent raviver les tendances xénophobes de populations qui pensent qu’on leur vole les emplois et les activités rémunératrices, y compris dans le secteur des petits métiers de la rue.