Rien n’est maintenant plus naturel que de déverrouiller son smartphone à l’aide de la caméra frontale. Ce petit geste devenu banal, permis grâce au développement de la reconnaissance faciale, est le symbole d’une révolution technologique mais aussi sociale et politique. Les utilisations se sont depuis démultipliées, pour le meilleur et pour le pire.
La Chine, la reconnaissance faciale pour un meilleur contrôle
La reconnaissance faciale permet de connaitre l’identité d’une personne à partir d’une photo et d’algorithmes qui cherchent à l’intérieur de bases de données. L’un des pionniers et un des acteurs maintenant les plus importants sur ce marché est la Chine. Dans l’épisode « Nosedive » de Black Mirror, les habitants se notent les uns les autres, les personnes possédant les notes sociales les plus hautes permettant d’obtenir certains droits et avantages. Ce système est possible grâce aux cameras des smartphones des habitants, qui sont capables de reconnaitre n’importe quelle personne. Ce qui apparaissait comme de la fiction est presque devenue réalité en Chine avec la création du « crédit social ». L’idée apparait dès les années 2000, mais il faut attendre 2018 pour que les premières phases de tests prennent forme sur le territoire.
Bien que son utilisation n’ait pas encore été globalisée, l’idée reste importante et démontre l’influence de cette technologie. Il est maintenant courant que des personnes obtiennent leurs services bancaires ou leur retraite en scannant leur visage, ou que des quartiers résidentiels et des immeubles soient fermés avec des systèmes de caméras à reconnaissance faciale. Les premières ont été introduites en 2008 et se sont rapidement diffusées sur l’ensemble du territoire avec maintenant plus de 600 millions de caméras dites intelligentes. Elles permettent au gouvernement de développer le maillage du territoire et donc une meilleure surveillance de sa population. Cela lui a notamment servi dans le Xinjiang, où les autorités sont accusées d’interner, de contraindre et torturer les communautés Ouïghours. Des caméras ont notamment été installées à l’entrée de villes ou encore dans les gares. Pour développer ces dispositifs, le gouvernement s’est associé à plusieurs licornes chinoises comme Baidu, Alibaba ou Tencent. Le territoire abrite aussi six des onze plus grandes start-ups de l’intelligence artificielle comme SenseTime.
En Russie, la reconnaissance faciale ou la surveillance sous des airs de gadgets et nouvelles technologies
En Russie, la technologie de la reconnaissance faciale est également largement diffusée sur le territoire. Elle est parfois présentée comme un outil permettant de faciliter la vie des habitants. En
2021, X5, le plus grand groupe de distribution du pays, a lancé le paiement par reconnaissance faciale. En s’alliant à plusieurs banques et systèmes bancaires comme Visa et Sberbank, qui permet à leurs utilisateurs de lier leur image à leur compte bancaire, ils peuvent payer juste en passant entre deux portiques dotés de caméras intelligentes.
Cependant, la surveillance reste un point majeur pour le gouvernement, d’où le déploiement d’au moins 100 000 caméras intelligentes rien qu’à Moscou. La mairie de la ville avait annoncé en février 2021 vouloir débourser plus de 10 millions d’euros pour de nouvelles caméras, soit plus de 932 millions de roubles. Le directeur général de la société russe NtechLab, qui a gagné l'appel d'offre de la mairie de Moscou, a déclaré que leur outil pouvait identifier une personne juste avec sa silhouette dans 80% des cas. Ces nouvelles caméras devraient également être capables également de reconnaitre les mouvements considérés comme rapides ou le vagabondage. Il est donc question de l’utiliser pour prévenir des comportements dangereux ou considérés comme tels. Ce maillage resserré de la ville a particulièrement été utile pour les autorités lors de l’explosion de l’épidémie de Covid-19. Il a permis de surveiller les déplacements des populations et le respect des mesures de confinement. Au-delà de l’aspect policier, sous couvert de maintenir la sécurité de la population, les autorités ont pu récupérer de très nombreuses données personnelles sur ses habitants. Le « centre de vigilance » mis en place pour l’épidémie a permis au gouvernement de récupérer les coordonnées et les lieux de travail de 95% des personnes ayant voyagé dans les pays les plus touchés. Les autorités se sont vantées d’avoir même pu récupérer les données de 600 voisins de deux personnes surveillées lors de la quarantaine. Cette idée rappelle les révélations d’Edward Snowden, mettant en lumière l’utilisation de l’outil XKeyscore et du programme PRISM par les autorités américaines. Le premier permet notamment de récupérer les métadonnées, le contenu de messages ou encore les historiques de navigation et donc pratiquement l’intégralité de ce que les personnes font sur internet.
L’Union Européenne : pour les droits humains, mais sous surveillance :
Bien que les pays européens, en particulier l’Union Européenne, se présentent comme des fervents défenseurs des droits humains, cela ne les a pas empêchés de développer ces mêmes technologies sur leurs territoires nationaux. Fin 2021, on comptait déjà 11 pays de l’UE, dont la France, la Finlande, l’Allemagne, la Hongrie ou l’Italie. Les polices de ces pays auraient déjà utilisé la reconnaissance faciale pour des identifications à postériori dans leurs enquêtes. Le RGPD empêche pour l’instant une utilisation de masse mais des experts objectent que c’est déjà le cas dans les faits puisque pour retrouver une personne, ciblée, il faut observer et analyser l’ensemble de son environnement. La France et l’Allemagne testent déjà la reconnaissance faciale dans certains de leurs aéroports, leurs gares, ainsi que certains transports en commun. La technologie tend à se généraliser.
En France, le projet de « Safe cities » a vu le jour à la fin des années 2010. Nice fait notamment partie des tests avec le déploiement de près de 2000 caméras. Celles-ci ont été utilisées pendant le Carnaval pour tester la fiabilité du système de l’entreprise Anyvision, qui doit reconnaitre les visages des participants grâce à une base de données fictives. Cette idée de « safe cities », fait suite au premier projet dans les années 2000 des « smart cities », qui se voulaient des villes optimisées et pensées pour le bien-être. L’idée de sécurité est devenue de plus en plus présente dans les esprits des individus mais surtout des Etats, qui cherchent à étendre leurs connaissances pour assurer un meilleur contrôle, le « safe » devenant plus important que le « smart ».
Conclusion : La reconnaissance faciale : entre mythes, fantasmes et réalité :
En mars 2022, l’actualité remet sur le devant de la scène la technologie de la reconnaissance faciale et ses controverses. La guerre en Ukraine, déclenchée par l’invasion Russe le 24 février 2022, a relancé le débat sur l’utilité et l’utilisation de cette technologie. En effet, l’Ukraine aurait utilisé une application pour identifier les soldats russes tombés lors des combats. Les autorités l’ont présenté comme un acte bienveillant, dans une démarche de respect pour les familles russes, mais il est surtout question de communication politique. En effet, le but affiché était de contourner la propagande des médias nationaux russes diffusée à ses citoyens, en rendant compte de leurs soldats tombés au combat. Une des grandes critiques de cette utilisation est le risque d’erreur du système. L’entreprise américaine Clearview AI a permis cette action en accordant un accès gratuit à ses services pour les dirigeants ukrainiens un mois après le début des combats. Cette entreprise et son application étaient déjà largement critiquées depuis plusieurs années. L’entreprise affirme avoir une base de données de plusieurs milliards d’images qu’elle aurait récupéré en scannant l’ensemble des images postées sur internet en public, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook, Linkedin ou Youtube.
Bien que la majorité des régimes ayant installés ces caméras, autoritaires ou démocratiques, insistent sur une utilisation ciblée et restreinte, en pratique, il parait impossible pour eux de tenir cette promesse, puisqu’il faut scanner l’ensemble des visages présents pour retrouver la personne voulue. La question de la protection des données apparait donc des plus pressantes. La reconnaissance faciale est passée d’une simple nouvelle technologie, à un outil censé faciliter la vie de tout un chacun, à un outil de contrôle de la population. Concernant les libertés et les droits humains, ce système a mis en évidence des déviances possibles, même à prévoir, par des régimes autoritaires mais aussi des pays démocratiques.